Les cathos de droite se déchirent sur l’immigration
La question de l’identité et de la nation donne lieu à une vive bataille idéologique. Deux livres en témoignent
Deux livres à paraître le 12 janvier, soutenus l’un par l’hebdomadaire La Vie (Groupe Le Monde), l’autre par Valeurs actuelles, mettent au jour les divisions des catholiques et les crispations que peuvent susciter chez certains d’entre eux les propos du pape François sur les migrants. Dans le premier, le blogueur Erwan Le Morhedec dépeint la porosité entre certains milieux catholiques et les réseaux identitaires issus de l’extrême droite. Dans le second, Laurent Dandrieu, rédacteur en chef de Valeurs actuelles, accuse le pape de demander à ses ouailles de consentir à » l’islamisation de l’Europe « . Deux positions diamétralement opposées, qui illustrent les clivages au sein de l’électorat catholique.
D’ordinaire, les catholiques n’aiment pas étaler leurs désaccords sur la place publique. Mais, en ce début d’année, dans deux livres à paraître le 12 janvier, un journaliste et un influent blogueur catholiques, chacun défendu par un hebdomadaire, sont à l’origine d’une controverse qui pourrait compliquer les repères des candidats à l’élection présidentielle désireux de s’attirer les votes de cet électorat si convoité depuis la primaire de la droite. Pour la première fois, ils exposent au grand jour les crispations que causent à certains catholiques les prises de position du pape François sur les réfugiés.
Le sujet de la dispute porte sur l’immigration, sur l’identité, sur le lien entre la foi et la nation. Sous le titre » La tentation identitaire « , l’hebdomadaire catholique LaVie (groupe Le Monde) publie une enquête sur l’influence des milieux identitaires dans la cathosphère. Y figurent les bonnes feuilles du livre d’Erwan Le Morhedec, Identitaire, le mauvais génie du christianisme (Cerf, 174 pages, 14 euros).
En face, Valeurs actuelles met en scène » Le pape qui fait scandale « , nourri d’extraits du livre du rédacteur en chef des pages culture du magazine, Laurent Dandrieu, intitulé Eglise et immigration, le grand malaise. Le pape et le suicide de la civilisation européenne (Presses de la Renaissance, 311 pages, 17,90 euros).
Erwan Le Morhedec, auteur du blog Koztoujours.fr, dépeint comment les réseaux identitaires de l’extrême droite issus du néopaganisme mettent à profit le malaise de certains catholiques face à la crise migratoire, à l’enracinement de l’islam et à la prise de conscience qu’ils seraient aujourd’hui une minorité parmi d’autres, pour instrumentaliser leur foi et la réduire à un attribut identitaire à visée essentiellement politique. » Ici et là, des catholiques cohabitent avec des identitaires, imaginent parfois les évangéliser quand ce sont eux qui les identitarisent « , écrit-il. Sa critique a d’autant plus de poids qu’elle n’émane pas de la gauche catholique.
Des catholiques désorientés
Laurent Dandrieu, lui, met en accusation l’attitude de l’Eglise et de son chef face à l’ » invasion « , à la » substitution progressive de la population « qui seraient la conséquence de l’actuel flux migratoire. L’Eglise donnerait le sentiment d’avoir » passé l’Europe par pertes et profits « , l’ouvrant » aux forces qui menacent de détruire ce qui fait son identité réelle « et demandant à ses ouailles de consentir à » l’islamisation de l’Europe « .
Le rédacteur en chef de Valeurs actuelles veut démontrer que » le discours actuellement dominant dans l’Eglise est infidèle à sa propre doctrine sur les droits des nations « et qu’il est urgent qu’elle trouve un discours » plus responsable et plus authentiquement charitable « sur l’immigration.
L’actualité des quinze derniers mois a nettement tendu l’atmosphère dans la famille catholique. Erwan Le Morhedec a été marqué par l’automne 2015. Pour la première fois, une structure de l’Eglise catholique, en l’occurrence le diocèse de Toulon, avait invité une élue du Front national – Marion Maréchal-Le Pen, dont il détaille les accointances identitaires – à débattre lors d’une université d’été. Dans les semaines qui ont suivi, le blogueur dit avoir » bondi » en découvrant les réactions déclenchées chez certains catholiques par la crise des migrants.
En septembre 2016, le pape François avait demandé à chaque paroisse du continent européen d’accueillir une famille de réfugiés. Après la publication de la photo du petit Aylan, un enfant kurde dont le corps sans vie découvert sur une plage de Turquie avait fait la » une » de la presse mondiale, la Conférence des évêques de France avait appelé » tous les catholiques et hommes de bonne volonté à apporter leur soutien » aux migrants. Certains catholiques avaient été désorientés, note le blogueur. » Si on ne met pas un coup d’arrêt, si on ne dit pas aux catholiques que rien ne les oblige à verser dans la tentation identitaire, on en paiera le prix plus tard « , affirme-t-il.
Pour Jean-Pierre Denis, le directeur de La Vie, le tournant a été la campagne de communication décidée par le maire de Béziers Robert Ménard, à l’automne 2016, proclamant à propos des migrants : » Ils arrivent « , avec la cathédrale de sa ville en toile de fond.
« Je sens monter dans la cathosphère un certain malaise « , note le journaliste à propos des positions du pape François sur l’immigration. » Il y a un sentiment de ne pas être compris et une envie de taper du poing sur la table. Tout ça est en train de fermenter. Il faut expliquer pourquoi c’est une impasse. «
Tension ancienne
Laurent Dandrieu ne se » reconnaît pas « dans la classification d’identitaire brandie par Erwan Le Morhedec, mais il ne » comprend pas pourquoi on considère l’identité comme un gros mot.Je me fais le porte-parole de beaucoup de catholiques inquiets devant un certain nombre d’évolutions de la société, et qui ont le sentiment qu’on leur demande de choisir entre leur attachement au Christ et leur attachement à la patrie. Je suis gêné par un discours ecclésial demandant de choisir entre foi et patriotisme « .
Pour le sociologue spécialiste du catholicisme Yann Raison du Cleuziou, l’opposition qui s’exprime dans ces deux ouvrages réactive une tension présente depuis longtemps au sein du catholicisme. Elle met aux prises une conception » civilisationnelle « , dans laquelle » les nations ne sont pas indifférentes à Dieu car elles sont choisies par Dieu « , et une approche » universaliste » dans laquelle c’est » chaque homme qui est élu par Dieu « . C’est parce que, sur l’immigration, il touche à ce clivage, que le pape François divise.
(Le Monde, 7 gennaio 2017)